Dans les années 1990, Denis Vanier a publié aux Herbes rouges une série de recueils à la sobriété brutale. L'urine des forêts, à la fois souvenir de l'amour perdu et abjection quotidienne, est l'avant-dernier de ces livres. Le poète y admet la puissance terroriste du mal qui l'a envahi. Ces textes sont ceux de la révolte adolescente, écrits avec les mots lucides de la maturité.
Encore une autre vie tournant sur elle-même. Un disque qui saute? Le langage n'a jamais sauvé personne. Le langage me sauve tous les jours. Une autobiographie ratée? Je suis trop jeune de toute façon. Le présent, mais contaminé par des souvenirs réels et inventés. Une histoire? Petites histoires, poèmes, vie, mort, enfant, adulte, enfant, adulte, argent, pas d'argent. Intérieur, extérieur. Tout cohabite, internet, un imaginaire obsédé par les cercles et la mort et cela s'explique peut-être par mes longues promenades circulaires à Longueuil. J'aime vivre aussi. Vraiment beaucoup. Je cherche encore mon rythme, je cherche dans mes poches, il me reste un vingt, j'ai dix doigts, des jambes.
La canicule écrase Rome, où l'écrivaine pose ses valises. Qu'est-elle venue trouver parmi les foules de touristes, elle, l'Italienne née déracinée en Amérique? Dans les rues de la capitale, la vie exubérante côtoie le souvenir de mille tragédies. Rome est le théâtre d'une violence répétée, ce cinéma où l'on s'assoit, agitée, pour assister au programme double de la femme tuée. La poète parcourt la ville, attentive aux fantômes qui passent. Ce livre pourrait être le compte rendu de sa conversation avec les esprits. C'est un retour sur les lieux du crime, le renouvellement des voeux, un face à face avec un passé qui hante : celui de l'Italie, et aussi l'histoire sanglante des femmes.
Abandons Abandon dans la mort, dans l'amour, dans la violence, dans la peur, dans l'alcool: le propos de cette poésie tient dans les faits du quotidien, du réel. Les mêmes attitudes, les mêmes mots se retrouvent d'un poème à l'autre, mais chacun d'entre eux bascule inévitablement dans le rêve ou le fantasme. Abandons révèle des scènes concentrées où l'intensité provient de détails superflus, inattendus, quelque chose qui soudainement serait plus grave que la mort. Peu à peu s'établissent entre ces scènes des liens, des rythmes communs. Ces visions fugitives sont fixées là, tout de suite, sans nécessairement être développées. Le poème est la forme idéale pour qu'on ne puisse oublier ces instants. La maison d'Ophélie La maison d'Ophélie explore la frontière qui sépare la vie normale du chaos. Chaque poème a le pouvoir d'investir les objets et les êtres d'une inquiétante étrangeté en suggérant une menace omniprésente cachée au coeur des apparences. Ces poèmes écrits en écho sont à la fois commentaires l'un de l'autre, et jeu de dualité et de résonances. L'imaginaire y contamine peu à peu la réalité. À preuve, ces nombreuses scènes du quotidien qu'un élément suffit à brouiller et à faire basculer dans une autre dimension.
Nattes présente les poèmes écrits par Philippe Haeck entre 1971 et 1977 : ses débuts d'écrivain. Nourrie de ses lectures, son écriture résonne de citations, réécritures et traductions, dans une intertextualité plus généreuse qu'érudite. Mais surtout, s'y rejoignent les diverses luttes des opprimé·e·s, celles des femmes et des luttes ouvrières. Dans cet appel à la révolution, de nombreux chemins de traverse se dessinent entre l'acte de création littéraire et l'urgence politique. Pour cette nouvelle édition, l'écrivaine et professeure Laurance Ouellet Tremblay signe une préface qui accueille ces poèmes pour les réinscrire dans la brûlante actualité.
C'est simple, vivre : on se réveille, on se nourrit, on goûte la chaleur du soleil sur son visage. Or, vivre, c'est aussi absolument compliqué : les pensées tournent inlassablement dans nos têtes, nos corps laissent sur le monde une trace indélébile. Il faut tuer le cochon pour le manger.
Poids lourd se déroule comme une spirale autour de ce dilemme. Dans une langue claire, avec un certain détachement, les poèmes tantôt s'attardent à l'instant présent, tantôt brossent, en quelques vers incisifs, le portrait obsédant des porcs en route vers l'abattoir. Devant l'angoisse de nuire, l'attention tour à tour se fixe et se détourne.
Cela commence avec une morte. Une petite sūur morte. Dans la maison où s’étouffent les lamentations de maman, la grande sūur joue désormais seule, guettant les indices de sa compagne perdue. Le temps passe et la plainte de maman ne cesse pas. La grande sūur pousse et quitte le foyer. Que faire : porter le deuil à perpétuité ou l’enfouir loin ? « Qui ose guérir ? » Quand la grande sūur, maintenant femme, accouche d’une fille à son tour, l’enfant se révèle étrangement douée pour les spectres. Il faut se rendre à l’évidence : comme l’ancolie, cette vivace incontrôlable qui fleurit encore quand toutes ses feuilles ont été grugées par des insectes, les enfants mortes existent si elles veulent.