Jean-Pierre Siméon prête sa voix à un hypothétique sage chinois - Tao Li Fu - qu'il prend plaisir à imaginer à la fois vieux et facétieux... Cela donne cinquante-sept maximes, ici traduites en chinois, et dont certaines sont calligraphiées. Un livre raffiné et malicieux qui réjouira petits et grands.
Le meilleur de la nuit / se prend à pleines lèvres / A corps perdu // A brassées d'herbes et de brumes // Avec les gestes du dénouement / Avec l'oreille du loup. J.-P. S.
Les rumeurs sont pareilles à des voitures de course ou à des tempêtes de sable.
Elles se déplacent plus rapidement que les autres paroles.
Chacun promet de ne rien répéter mais personne ne parvient à faire un noeud à sa langue.
Si bien que mon secret à toute vitesse s'est ébruité.
À l'école, tous ont su que j'étais un enfant du placard.
Pas besoin d'être grand clerc pour constater que, du monde, de soi et des autres, on ne sait pas grand chose. Il n'empêche. Il en est, biologiste, astrophysicien ou écrivain, qui ne désespèrent pas d'en savoir plus. C'est le cas de l'auteur de ce livre. Sa méthode? Celle du scientifique qui s'apparente à celle du poète ou celle du philosophe: un affût intense qui met en examen tout ce qui tombe sous le regard, l'ordinaire, l'infime, l'incident de préférence. Où se vérifie cette loi heureuse: sous chaque observation, mille énigmes nouvelles. C'est ainsi qu'Ito Naga, sur les traces de Joe Brainard («I remember») et de Pérec («Je me souviens»), mais en déplaçant l'enjeu de l'enquête vers le réel immédiat, propose l'inventaire amusé, imprévu, forcément provisoire, de ces données d'évidence qui présentent le réel pour ce qu'il est: un univers en expansion infinie.
« Je sens n'est pas je sais ».
« Je sens décrit l'autre moitié du monde ».
Ainsi commence Je sens, le nouveau livre d'Ito Naga. L'auteur nous invite ici à quitter les certitudes pour plonger dans la profondeur des intuitions. Nous partons avec lui à la découverte de « l'autre moitié du monde ».
Et pourtant, c'est bien du même monde subtil et précis dont il s'agit, celui de l'auteur de Je sais, ou plus récemment des Petits Vertiges. Là où le scientifique souriait de notre rapport cartésien à ce qui nous entoure, en l'appliquant à l'infiniment petit de nos vies, le poète accepte de plonger en pleine subjectivité. Il laisse libre cours à l'intuition, à l'invisible qui nous façonne, nous guide et nous tient debout.
Je sens ne contredit pas Je sais. Il lui ouvre un vertigineux champ des possibles.
M.N.
Lorsqu'un soleil nous éveille nous sépare ô visiteuse tu écoutes la fable et ma demande de jardin ce corps où l'on s'empare de la belle écriture les ahans le pubis aux plus fins aiguillages.
Les granges abandonnées où nous allions enfants nous regardent encore de l'autre côté de la vallée par les yeux béants de leurs deux portes charretières. Aujourd'hui toujours vides, elles gardent les ombres des murs où l'on se cachait à la fin du jour.
Les derniers ballots de paille oubliés qui nous servaient de sièges attendent dans ce retrait du temps la fin d'une pluie de juillet. J'observe sans me lasser la joubarbe des chéneaux et le filet d'eau continu dans les jointures rouillées des descentes pluviales.
À travers les treize poèmes qui composent Demeurer suspendu, Rafael-José Diaz tente d'aller à la rencontre de personnes, de lieux et d'instants désormais étrangers, séparés, disparus. Chacun des poèmes se déploie en une longue phrase dont te souffle sans cesse se noue et se dénoue, enveloppant le présent et le passé.
Nous traversons de nouveau des rues anciennes, des appartements où les lumières sont depuis longtemps éteintes. Et nous assistons à ce miracle, suscité par la poésie même, de retrouver vivantes les ombres, présente une mère « déjà transformée en simples cailloux / proches de l'état de poussière qui n'est pas encore celui du néant ».
Comme le note Lionel Bourg dans sa préface, il y a chez Rafael-José Diaz une justesse et une acuité exceptionnelles qui chargent son expression d'une telle densité émotive qu'elle conduit le lecteur au bord des larmes.
Les eaux noires glissaient près des campements, si pures sous les arbres des rives. On croyait entendre les guides conter sous les feuillages le récit de la fuite, les étendues amères parcourues chaque nuit, le vent arrachant les manteaux. Premiers jardins croisés au bord des rocs. Des femmes se lavaient. Le souvenir en vient à plusieurs. Un guide, si vieux qu'il pensait avoir reconnu d'anciennes pierres dressées, avait, par les larmes et le chant, avoué son désir.
Ville tes cafés tes rues au feu vertige qui te prend par la nuque quand le jour se penche pour ramasser rêves sans avis préalable la beauté te tranche tes briques scintillent et vont plus loin que le sang J. D'A.
Pas de temps est la troisième publication d'Emmanuel Echivard à Cheyne. Dans ce nouveau livre, le poète s'interroge : « Est-ce que je suis / ceux que je regarde / ceux qui passent / à côté de moi ». Pas de temps est une poésie qui s'empare des autres, une poésie de rencontres, de scènes quotidiennes.
Emmanuel Echivard a l'art de mettre au jour la collection « des fragments / du monde au commun ». Il observe avec attention et amitié « les passages blancs, les places grises des villes », les silhouettes et les regards des passants, la file d'attente à la boulangerie, l'enseigne de la pharmacie...
Mais sous ce quotidien, se fait entendre une seconde voix. Voix continue, à travers laquelle le poème révèle l'envers du monde. Pas de temps dévoile ainsi l'invisible sans chercher à s'échapper du visible « puisque, nous dit le poète, c'est ici qu'il faut être ».
Brefs déuges.
La fille de l'autocar parle ;
Le paysage défile.
La fille de l'autocar froisse le bout de son écharpe ;
Le paysage s'arrête au carrefour.
Dans l'herbe où je me dore, dieu / faites que oui / que la paresse m'abîme. à tout jamais je veux / que l'herbe / en feu, que les fourmis dévorent / mes tout petits mollets. mâchent mes peines / je le demande oui / que le soleil écrase / ou brûle ou tue mes tempes mes douleurs / au moins un peu.
Sourire, ce n'est pas rire. Les hyènes et les êtres cruels rient mais sont incapables de sourire. Le sourire, lui, n'exhale aucun son, il est une expression discrète, feutrée, une émotion qui n'est pas destinée aux foules ni aux menaces. Il naît du ventre, traverse et se nourrit du coeur, il se comprime à l'intérieur des poumons, remonte le buste puis relâche la mâchoire en irriguant de douceurs les lèvres, les joues, et de lueurs l'iris. Le rire retentit quand le sourire s'écoule, se répand, il s'anime au contact des autres ou de leur souvenir.
Considéré comme l'un des plus importants poètes chiliens d'aujourd'hui, Óscar Hahn n'avait encore jamais été traduit en français. Autour de larges extraits de Peine de vie, l'un de ses recueils majeurs, ce volume nous invite à un parcours poétique couvrant près de quatre décennies, depuis Art de mourir (1977) jusqu'aux Miroirs communicants (2015). La poésie d'Óscar Hahn se caractérise par des formes concises, une netteté limpide du vers et une aptitude à embrasser un large horizon de l'expérience humaine. Elle excelle à relier les détails concrets de la vie quotidienne, les situations existentielles ou les événements historiques à une dimension réflexive proche de l'apologue. L'amour, le temps, la solitude, la mort, la chute des Tours jumelles, les guerres au Proche-Orient sont autant de thèmes susceptibles de trouver place dans ses poèmes qui allient au naturel de la diction une persuasive unité de forme et d'atmosphère. La voix d'Óscar Hahn porte l'empreinte d'une longue tradition poétique remontant au Siècle d'or espagnol, tout en manifestant une évidente aptitude à réélaborer des formes d'oralité populaire. Ni la verve ironique, ni la veine ludique ou fantastique qui se font subtilement jour dans ses poèmes ne le conduisent à perdre un juste contact avec les vérités, les énigmes et les paradoxes des destinées humaines. Me charger de moi-même de par le monde n'est pas chose facile Me défaire de moi ou me laisser abandonné en quelque lieu non plus Ó. H.
Un recueil de poèmes écrits pendant plus de quarante ans, se référant aussi bien aux tourments de l'époque qu'à l'expérience de la vie humaine dans son universalité.