De l'extase aux abîmes du péché, Baudelaire explore les dédales de la conscience. Il nous fait partager le drame qui se joue en lui et qui n'est autre que celui de la tragédie humaine.
Recueil condamné par la censure, cette oeuvre est l'archétype d'une nouvelle esthétique où beauté et sublime se côtoient.
Au-dessus de la vieille Dijon, le ciel hésite entre un clair-obscur flamand et la parfaite noirceur d'une nuit de conte médiéval. Le temps se distord, suspendu. Et entre les tours gothiques glisse la silhouette de l'épouvantable Scarbo.Aloysius Bertrand joue des couleurs et dénature les anciennes images du bout de sa plume, jetant sous nos yeux une prose musicale et ingénieuse. Oeuvre novatrice, marginale, Gaspard de la Nuit sera tiré de l'oubli par Baudelaire et Mallarmé, qui y voit l'invention du poème en prose.« La poésie au XIXe siècle : du romantisme au symbolisme » fait partie des nouveaux programmes de seconde.
Douze jurés se réunissent pour délibérer à l'issue d'un procès dont l'accusé est un adolescent de seize ans inculpé pour parricide. Les preuves manquent et il clame son innocence. Mais les témoignages sont graves, précis et concordants. S'il est reconnu coupable, le jeune homme sera condamné à mort. Onze jurés sur douze votent « coupable ». Un seul s'oppose à ce verdict, explique son veto, analyse les témoignages et décortique les contradictions. Peu à peu le doute gagne les esprits et abolit les certitudes.
À partir de petits carnets oubliés dans une maison abandonnée, Pas vu Maurice raconte la vie quotidienne d'un hameau du Haut-Forez dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, à 900 m d'altitude. Une histoire rurale disparue. Ces carnets, une quinzaine, de 1997 à 2000, ont été retrouvés parmi les matelas éventrés, les empilements de journaux et les bocaux de haricots périmés par le nouveau propriétaire de la maison, Claude Benoit à la Guillaume, photographe. Il les a montrés à sa plus proche voisine qui a bien connu la personne qui les remplissait. En découvrant et ouvrant ces carnets, Laurence Hugues a souhaité donner à entendre cette voix qui s'est tue. Elle a entrepris de transcrire ces textes de listes, très contemporains dans leur style, leur énoncé, leur répétition, sans affect même lorsque des morts surviennent et de les reprendre dans sa propre écriture, au sens de repriser, comme on répare un tissu.
Le récit repose sur une part d'histoire de vie. Marie, paysanne, consigne son univers quotidien dans ces petits agendas recyclés en carnet de bord dans une écriture de plus en plus serrée au fil des années qui passent et la solitude qui s'installe chez elle. Elle y inscrit les travaux et les jours, les visites du neveu, Maurice (tel jour « vu », tel autre « pas vu »), le nombre de bocaux de confiture ou de haricots, le temps qu'il fait. Les notes se répètent à chaque saison, presque à l'identique, comme ces tâches répétées tout au long de sa vie et de la vie du hameau.
Cette vie rurale disparue, ou presque, a aussi sa noblesse et de nombreuses vertus. Ténacité, frugalité, accord avec les saisons... un sens du travail en commun, de la communauté, même.
À la lecture de ces chroniques de la vie ordinaire (infraordinaire aurait dit Georges Perec), Laurence Hugues a puisé dans ses souvenirs les motifs listés de la corvée de patates, la mise à mort du cochon, les slips qui battent au vent.
Autour d'extraits des carnets elle propose une écriture à deux voix des moments de la vie de deux femmes, à des années de distance.
Le photographe, de son côté, a documenté par l'image les carnets. Son travail, en contrepoint des écritures mêlées, donne à voir de très belles photographies au plus près du matériau même des agendas et des objets de l'univers de Marie.
Dans l'imbrication d'une approche intime, documentaire mais aussi littéraire et artistique, se dessinent en creux deux portraits de femmes, au tournant du millénaire, dans un même lieu mais avec des vies bien différentes. C'est aussi une manière très concrète d'évoquer la désertification des villages. Mais ce double témoignage n'a pas seulement caractère d'archive. Il peut faire écho chez celles et ceux qui aujourd'hui sont tentés par une vie plus simple, plus sobre, loin des grands centres urbains.
Les États provisoires du poème traversent l'Atlantique avec ce nouveau numéro. Poèmes, récits de voyage, études autour de Paul Claudel côtoient un texte inédit de Henry David Thoreau et une belle réflexion sur la traduction. Ce numéro 18 de la revue permet de découvrir les États-Unis d'une façon originale et stimulante, à travers le regard croisé de poètes, traducteurs et universitaires qui ont choisi, depuis la France, de raconter « leur Amérique ».
Les grands espaces états-uniens, tant de fois parcourus dans les livres et les films, s'ouvrent ici à de nouveaux horizons. Cette fois encore, les États provisoires du poème rappellent que la poésie est aussi un lieu d'échanges : cette Amérique vue de France gagne en complexité et en richesse.
« Qu'on traduise une fiction ou qu'on décide du sort d'un homme, lui rendre justice c'est d'abord comprendre, aller mentalement là-bas, s'ouvrir à l'étranger, ne pas le réduire au même. Non pas assigner à résidence avant d'assimiler ou d'expulser, comme un organisme vivant assimile ou expulse un corps étranger, mais laisser venir, écouter, entendre d'abord quelques bribes de cette petite musique inconnue, puis, avec un peu de chance et beaucoup d'oreille, la partition tout entière. » Brice Matthieussent.
Auteurs : Carolyn Carlson, Jacques Darras, Thierry Gillybceuf, Marylin Hacker, Michel Lioure, Brice Matthieussent, Marie-Victoire Nantet, Jean-Pierre Siméon.
Extrait de son livre Sheepfold Hill, sous-titré Fifteen Poems by Conrad Aiken, « Le Cristal » (1958) est un long poème magistral dans lequel Aiken déploie tout son art.
C'est un poème de maturité, fraternel, en dialogue avec l'illustre Pythagore de Samos (vie siècle av. J.-C.), où l'âge du poète alors âgé de 69 ans à sa parution transparaît dans ses questionnements.
Aiken y évoque des moments de la vie du grand philosophe, homme d'état, et mathématicien à qui il s'adresse - fait retenu : Pythagore fut, terme d'actualité, un migrant ( Pythagore quitta en effet Samos à l'âge de 18 ans et n'y revint que vers l'âge de cinquante ans).
Comme Aiken le précise en fin d'ouvrage, dans une note présente en ces pages, il avait en tête depuis longtemps d'écrire ce poème, la découverte d'articles parus successivement aux mois d'août et septembre 1956 a contribué à son aboutissement.
Chapitré, d'une ampleur certaine, ce poème est à lui seul « un livre »...
K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. est une revue quadrimestrielle dirigée par Jean Daive et imprimée en typographie chez Éric Pesty Éditeur. (Au sommaire : Claude Royet-Journoud : "La nature des actes transitifs" / Bénédicte Vilgrain : "Calcutta" / Jean Le Gac : "Jour inachevé" / Lyn Hejinian : "Le Désuivre" / Gil J. Wolman : "Planche séparée").
80 pages d'exception pour ce sixième numéro de La Barque dans l'arbre. Soit, des traductions du russe (Vladimir Soloviov, Daniil Harms), du japonais (ASABUKI Ryôji), de l'espagnol (Argentine & Mexique, Mariano Rolando Andrade et José Carlos Becerra), de l'anglais (américain, Cummings, Pound, Whitman), de l'italien (Franco Buffoni), du polonais (Michal Sobol), et des textes-poèmes français de Dominique Grandmont, Franck Gourdien, Philippe Di Meo, Philippe Blanchon, Jacques Sicard, Nicolas Vatimbella. Certains auteurs, qui apparaissent par endroit en tant que tels, y sont également traducteurs, d'autres connus en tant que traducteurs y apparaissent poètes, tandis que d'autres encore, pour certains poètes, s'y trouvent en tant que traducteurs (Karine Marcelle Arneodo, Emmanuel Laugier, Bruno Grégoire, Lou Raoul...), là où le poète Mariano Rolando Andrade s'est traduit avec la complicité de Christophe Manon... En ce vol qui n'est pas survol, de texte à texte en ce montage, au travers des écritures des sujets trouvent à se dégager et revenir, notamment celui de la guerre et ses souffrances?. Des pans d'Histoire, notamment politique se révèlent ainsi, tout aussi bien, allemande et italienne, états-unienne ou mexicaine... « L'espèce humaine » autrement dit, sous des aspects qui se peuvent ici ou là ceux de la relation à l'autre saisie dans le questionnement de la distance. Soit encore, jusqu'à la drôlerie de certains textes, l'absolu nécessité de la poésie à travers le temps et l'espace, l'un et l'autrefouillés par des écritures.
" C'est dans cette jeunesse que j'espère trouver le poète populaire et dru et violent que nous cherchons. Un poète et tout sera sauvé. Pour longtemps ". Jean Vilar.
Jean Vilar, qui se disait à la recherche d'un poète, du poète pour le TNP, n'a eu de cesse de s'interroger quant à la relation de l'art avec " le peuple ". Le thème de ce numéro des Etats provisoires du poème, hommage en pensées à cet immense homme de théâtre, est apparu avec évidence : " Le poète et la chose publique ". Car quelle plus belle manière de se rappeler Jean Vilar sinon en poursuivant cette exploration de la question des rapports entre le poète et " le public " ?
A l'heure où la démocratisation culturelle ne semble plus qu'un nivellement descendant, à l'heure où, la crise portée en étendard, l'on voudrait réduire cette réflexion - essentielle, politique, citoyenne - de la transmission de la culture et des idées, à des enjeux économiques et technologiques allant dans le sens adoubé d'une modernité autoproclamée, Les Etats provisoires du poème se veulent une nouvelle fois l'espace de l'engagement pour la propagation du poème, pour tous, résolument.
Florence Buti, Cheyne éditeur.
La Talvera est un mot occitan désignant la bordure non labourée du champ, l'endroit où la charrue doit tourner. Par métaphore, sus la talvera (sur la talvera), se traduit en français par « en marge » qui, dans ce long poème doit s'entendre comme un souffle de dignité, un frison d'espoir, une invocation à ceux qui se sont dressés, un chant à la gloire des vaincus : Gloria Victis.
Les textes de Sonance appartiennent tous au recueil Sonanz, 5-Minuten-notate, paru en 2008. Avec régularité, entre 2003 et 2005, l'auteure s'impose d'écrire pendant des périodes de cinq minutes, s'interrompant parfois au milieu d'une phrase ou d'un mot lorsque le temps est écoulé. L'ensemble apparaît comme un objet littéraire sans précédent. On peut le lire à la fois comme un journal intime et comme un recueil de textes immotivés relevant d'une forme d'écriture automatique, mosaïque de fragments qui s'agencent en des configurations involontaires tandis que l'organisation propre à chaque texte, née de l'urgence, produit des formes incertaines, éparpillées et récurrentes, au fil des ruptures et des reprises.
Sonance - ce néologisme traduit le néologisme du titre allemand Sonanz -apparaît comme une entreprise d'écriture de soi qui ne sonne qu'à la condition de faire résonner une écriture autre dans sa radicale extériorité.
Vincent Barras a choisi de traduire une section du recueil original afin de rendre audible, dans l'espace réduit d'un numéro de L'Ours Blanc, la singulière sonance du travail poétique d'Elke Erb.
Tentative Verticale se veut un hymne pour un monde éclairé par la puissance de la poésie.
Le poème est ici un acte de foi marquant de son sceau le sens des actes et des choses ; il convoque une réflexion autour de la volonté de création et la nécessité d'assumer la portion de singularité qui appartient à chacun.
Pour Carles Diaz, la poésie est un sédiment composé de vertige, de fulgurance, de doute et de lenteur, dont le but est de restituer au plus près la part d'inconnu et d'ineffable accompagnant notre séjour au monde.
Le numéro 36 de L'Ours Blanc réunit trois récits de Mathieu Provansal : "L'auteur nous gâte" suivi de "La goutte" et "Théâtre oval". Ils semblent autant autobiographiques que fictionnels, sans qu'il soit possible de déceler en eux la part de l'invention et celle de la confession, n'était la précision avec laquelle sont décrites les émotions et les pensées du narrateur ou des personnages.
A chaque fois, le récit décrit une situation culinaire. La cuisine, ses ingrédients, ses rituels de consommation servent de contexte autant que de prétexte à traquer les instants où s'aperçoit une faille, les moments de basculement des sentiments entre les êtres, de délitement de la relation. La phrase de Provansal mitonne comme un plat longuement cuisiné. La saveur de ses récits a le goût des choses connues pourtant, au bout de chaque phrase, c'est l'inattendu qui surgit et surprend à chaque fois par l'acuité de l'observation, la précision de la description.
L'exercice de la prose se trouve ainsi transfiguré dans les méticuleuses constructions verbales auxquelles s'adonne l'auteur avec une évidente délectation. S'il fallait filer encore un peu la métaphore, on pourrait ajouter que son écriture échappe à toutes les recettes littéraires éprouvées dont nous a gavés la dernière rentrée littéraire. Passés les hors-d'oeuvre, voici une oeuvre originale qui se construit de récit en récit avec une stupéfiante virtuosité.
À l'occasion des Langagières, manifestation autour de la langue et de ses usages, créée à la Comédie de Reims puis reprise au Théâtre National Populaire - Villeurbanne, commande est passée aux poètes invités d'un texte où chacun exprime les enjeux qu'il assigne à son travail, à la faveur d'un thème suggéré.
La question des rapports entre théâtre et poésie est aussi vieille que. le théâtre si l'on convient que celui-ci trouve son origine dans l'archaïque dithyrambe grec. Si l'invention par Paul Fort, un poète, d'un Théâtre d'art revendiquant la place sine qua non de la poésie sur le plateau a marqué en profondeur l'histoire du théâtre durant le XX e siècle, le lien jadis organique entre les poètes et les gens de théâtre s'est peu à peu distendu au cours des dernières décennies au point que les uns et les autres semblent aujourd'hui s'ignorer.
On sait que le projet de Christian Schiaretti depuis les Langagières de Reims, dont cette revue fut l'émanation, et à présent au Théâtre National Populaire, est justement de refonder l'alliance du poète et du comédien, d'affirmer sa pertinence pour notre temps. Ce numéro des Etats Provisoires du Poème, croisant la parole de poètes et d'hommes de théâtre, se propose d'être le lieu symbolique d'un dialogue renoué.
Chroniques de l'oubli de Thierry Delhourme est un ensemble d'écritures poétiques et contemporaines qui explore différents horizons jusqu'aux forêts vierges. Ces textes sont alors à considérer comme un lieu, un moment, un intervalle d'une quête située quelque part entre l'augure et l'apanage. Thierry Delhourme, est un homme sans cesse en état de poésie, mais ici le poète n'est ni capitaine, ni gouverneur ; il se définit toutefois volontiers comme un funambule de l'existence face à la vie et ses incertitudes.
Les "neumes" sont des signes de notation musicale. Ils ont été utilisé durant le Moyen Age, jusqu'à l'adoption de la portée à cinq lignes. Ici, neume désigne le premier mot ou le premier vers de chacun des cinquante fragments qui composent une suite à lire d'un seul tenant. Chaque part se voit tissée de références : oeuvres d'art, souvent contemporaines, textes littéraires ou théoriques, pièces musicales, dans lesquelles le contemporain a aussi sa part.
Le travail de création est pris dans un réseau serré de références que l'auteur réoriente et réorganise au fur et à mesure que le chant se développe.
Pour son numéro 35, L'Ours Blanc publie le texte d'un jeune auteur d'origine turque et de nationalité suisse, vivant à Genève. Construit comme une sorte de vocabulaire de base, son texte explore la signification problématique de douze mots turcs réputés intraduisibles dont l'auteur s'efforce cependant d'expliciter le sens en français. Drôle sans légèreté, profond sans emphase, toujours impertinent en ce qu'il sait poser les questions qui dérangent, son texte est aussi un magnifique hommage à une culture qui n'est plus la sienne que dans le souvenir de ses ascendants.
Havasu Kaya tente de comprendre le rapport singulier qu'il entretient avec une langue qui n'a jamais été pour lui une langue maternelle, tout en étant la langue dont bien des mots, que lui ont appris ses parents lui sont familiers et en même temps suffisamment distants pour devenir les marqueurs d'une appartenance autre. Mots qui sont des alliés comme des obstacles, qui se laissent saisir et pourtant se dérobent. En interrogeant leur étymologie de façon aussi savante que sensible et intuitive, Havasu Kaya développe une écriture à la fois empreinte d'humour et de sensibilité, sans que jamais l'identité ne soit conçue comme une chose figée.
Dans la situation actuelle de crispation autour de vérités exclusives, de rejet de l'autre vécu comme une menace à éliminer, L'ours Blanc espère que ce texte apportera sa contribution joyeuse et grave à une nécessaire réflexion sur le sens et la valeur de l'altérité.