Lettres et langues
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Les incandescentes ; Simone Weil, Cristina Campo et Maria Zambrano
Elisabeth Bart
- Pierre-Guillaume De Roux
- 23 Mai 2019
- 9782363712875
Lire Simone Weil (1909-1943), Cristina Campo (1923-1977), Mar?a Zambrano (1904-1991), ces « flammes libres », c'est d'abord écouter leur voix, longtemps recouverte par l'obscurantisme de notre époque, celui qui refuse toute lumière autre que celle d'une raison sèche, désincarnée. Leurs oeuvres sont devant nous. Il a fallu du temps pour reconnaître le génie de Simone Weil et de Mar?a Zambrano, dont une oeuvre magistrale, L'Homme et le divin, publiée en 1955 au Mexique, fut refusée par Gallimard malgré le soutien d'Albert Camus, bien avant qu'elle reçoive le prix Cervantès à Madrid en 1988 pour l'ensemble de son oeuvre. Quant à Cristina Campo, on commence seulement à la lire en France, elle qui a si peu publié de son vivant et dont la plupart des écrits, enfouis dans des malles, ont disparu, dispersés par ses héritiers après sa mort en 1977. Ces trois voix ont brûlé, dans les ténèbres du XX e siècle - cette longue nuit de guerres, de totalitarismes, de barbarie où nous errons encore -, de leur désir de vérité et de cette volonté qui consiste à aimer inconditionnellement. Trois femmes, trois voix qui s'entrelacent sans le savoir en une seule flamme dans la nuit où le Verbe se fait silence, dans trois langues vivantes et soeurs, le français, l'italien, l'espagnol. Si différentes dans leur absolue singularité , elles se ressemblent, toutes trois de la lignée d' Antigone, éminente figure du sacrifice, de l'offrande sans concession, de l'amour sans conditions, du « moi » consumé pour accéder à l'être, sans lesquels il n'est pas de révolte authentique. Dans le temps de vie qui leur fut imparti, brève et fulgurante trajectoire de Simone Weil, morte à trente-quatre ans, longue vie de Mar?a Zambrano du début à la fin du siècle, parcours orienté dès la naissance par la maladie, pour Cristina Campo qui ne connut pas la vieillesse, elles ont eu cette capacité si rare de transformer leur vie en destin.
Toutes trois ont connu l'extrême souffrance, à travers l'épreuve de la maladie, pour Simone Weil et Cristina Campo, ou celle de l'exil pour Mar?a Zambrano, à travers les ruptures, les deuils, aussi. Toutes trois ont vécu dans le monde et hors du monde, hors des modes, hors de l'air du temps. Une parenté les li , de celles que Nietzsche nomme « amitiés stellaires » qui n'ont de lieu que dans l'espace de la pensée, de l'intelligence et de la vérité, perceptible dans leurs thèmes qui se font écho - une écholalie, comme l' écrit André Hirt à propos de Baudelaire, Wagner et Nietzsche - parenté dont Cristina Campo serait la jointure poétique, elle qui découvre La Pesanteur et la Grâce en 1950, oeuvre de Simone Weil qu'elle contribue à importer en Italie, et qui « reconnaît aussitôt dans la philosophe française une soeur. Plus intense, plus brûlante. » On Chacune se reconnaît chacune en l'autre dans une triangulation dont l'enjeu n'est autre que cette mystérieuse activité, « écrire », comme pratique rationnelle du logos et simultanément, expérience mystique.
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Rabelais... que le roman commence !
Lakis Proguidis
- Pierre-Guillaume De Roux
- 3 Janvier 2017
- 9782363711816
Pourquoi les théoriciens de la littérature sont-ils aussi frileux quand il s'agit de parler du roman ? L'emprise des sciences humaines, structuralisme en tête, depuis les années 70, aboutit à cet étrange résultat : l'étude du roman serait désormais la chasse gardée des conceptualisants de tout poil les plus rébarbatifs et échapperait à toute approche esthétique... Les travaux décisifs de Mikhail Bakhtine sur le roman dostoïevskien, en pleine censure stalinienne, furent eux-mêmes été confisqués par la linguistique comme si on avait voulu étouffé dans l'oeuf les éclatantes révélations qu'il fit sur la réalité du pouvoir romanesque. Mais comment notre brillante intelligentsia française put-elle ignorer que Bakhtine faisait précisément de Rabelais le père du roman moderne d'où sortiraient des géants nommés Cervantes, Sterne, Balzac et bien sûr Dostoïevski ? Peut-être parce que Rabelais les renvoient, dos à dos, à leur propre miroir : Parnurge, ce mal élevé, cet ignorant, prend de court et rie au nez de tous les pompeux docteurs de la scholastique si empressés de lui démontrer leur savoir en tout domaine, fût-ce celui du cocuage... Qui dit «concept et raison» dit, en effet, «une seule manière de voir », soit un monde clos et fermé, soit une histoire réglée d'avance. Qui dit «roman» dit au contraire annonce : «surprise et plaisir» extensible à l'infini... Rabelais fut donc bien le premier à rompre avec la pression «mimétique», sociale, que véhiculaient les formes de récit antérieures héritées d'Homère. Parce qu'il inventa, le premier, le personnage du lecteur : celui qui n'était plus façonné par cette force terrible appelée «logos» qui, chez les anciens Grecs, imposait à tout être et à toute chose une place déterminée dans le cosmos : l'homme qui serait désormais uniquement préoccupé de son bon plaisir friand d'imprévus er de hasard. Mais la découverte la plus gênante pour nos théoriciens de la littérature, ce n'est pas Rabelais lui-même mais ce qui l'inspire, ce qu'il a lui-même pratiqué dans sa jeunesse et qui va déterminer le roman dans sa singularité la plus profonde : le théâtre. Car d'où vient-il ce bon vieux théâtre sinon de la farce chrétienne médiévale qui est la seule à montrer en même temps le sérieux et le comique de l'existence, le sublime et le trivial, le divin et l'humain ? Or ces farces qui désignaient ces petites pièces de pur divertissement qui se jouaient entre les actes du drame liturgique célébrant le mystère divin signifient aussi «remplissage, digressions, brèches, surprises... et les livres de Rabelais en sont truffés. Cette passionnante démonstration signée Lakis Proguidis est menée à la fois comme une enquête, émaillée de découvertes frappantes, et comme un dialogue platonicien entraînant, stimulant. Elle épouse aussi l'itinéraire d'une sorte de Montaigne contemporain qui, au fil d'une vie mouvementée, s'ouvre à des lectures romanesques de premier plan, sources d'intuitions si géniales qu'elles déclenchent la «relecture» de l'art romanesque lui-même : Kundera, Gombrovicz, Papadiamantis et... Rabelais.
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L'atelier du roman n.89 : liberté : quel intérêt ?
Collectif
- Pierre-Guillaume De Roux
- L'atelier Du Roman
- 23 Mars 2017
- 9782363712066
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L'atelier du roman n.90 : Jules Verne : quand l'homme ne craignait pas la science
Collectif
- Pierre-Guillaume De Roux
- L'atelier Du Roman
- 22 Juin 2017
- 9782363712073
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L'atelier du roman n.91 : Yasmina Reza ; au bout de la nuit, l'amitié
Collectif
- Pierre-Guillaume De Roux
- L'atelier Du Roman
- 28 Septembre 2017
- 9782363712158
Parmi les écrivains de nos jours qui jouent un rôle important dans le renouveau des formes littéraires, Yasmina Reza est certainement la plus atypique. Actrice, auteur de théâtre, romancière et scénariste, jouée et traduite dans le monde entier, avec une vingtaine de livres à son actif, Yasmina Reza représente une énigme artistique qui ne pouvait pas laisser indifférent L'Atelier du roman. Quel est le fil conducteur de cette création multiforme, quel est le noyau esthétique de cette oeuvre qui se déploie dans le temps en alternant différents registres artistiques ? Ce n'est pas parce que nous connaissons la réponse que nous posons la question. Les questions de cet ordre servent à familiariser le lecteur avec les oeuvres surprenantes et novatrices faites pour durer comme celle de Reza. Articles, entre autres, de Pascale Roze, Florent Georgesco, Philippe Djian, Agathe Novak-Lechevalier, Alice Bouchetard et Lakis Proguidis.
Dans ce même numéro, à part les nouvelles romanesques du monde entier dont se chargent nos chroniqueurs, figureront des critiques sur Joseph Conrad, Stefan Zeromski, Jean Dutourd et Akira Mizubayashi, le tout parsemé des dessins humoristiques de Sempé, dont le rire n'est pas étranger au rire cruel et amical de Yasmina Reza.
Revue trimestrielle fondée en 1993 et dirigée par Lakis Proguidis, L'Atelier du roman se consacre à la critique et à la réflexion sur le roman et sur son rapport au monde.
On y trouve : des critiques, des entretiens, des nouvelles, des débats...
L'Atelier n'est pas une revue universitaire juxtaposant des textes de spécialistes mais, comme son nom l'indique, un lieu où se rencontrent les romanciers et où ils discutent librement de leur art.
Jusqu'à aujourd'hui, plus de 500 écrivains du monde entier ont contribué à la revue. Entre autres, Milan Kundera, Günter Grass, José Saramago, Ernesto Sabato, Fernando Arrabal, Philippe Muray, Michel Déon, Kenzaburô Ôé, Benoît Duteurtre, Jean-Philippe Domecq, Michel Houellebecq, Philip Roth, Carlos Fuentes, François Taillandier, Olivier Maulin, Bernard Quiriny, Juan Goytisolo, Morgan Sportès, Richard Millet, Dominique Noguez, Vincent Delecroix, Pierre Lepape et Yasmina Reza.
La revue est illustrée par Sempé.
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L'atelier du roman n.92 : le miracle mexicain
L'Atelier Du Roman
- Pierre-Guillaume De Roux
- L'atelier Du Roman
- 11 Janvier 2018
- 9782363712240
Le dernier numéro de l'année sera entièrement consacré au roman mexicain contemporain.
L'Atelier du roman, fidèle à son but principal de promouvoir le dialogue esthétique autour de l'art du roman, se penche sur les romanciers mexicains parce que leurs oeuvres ne peuvent que stimuler et enrichir ce dialogue. Nous fondons ce jugement sur quatre raisons principales : a) Au Mexique les écrivains entretiennent un rapport vivifiant avec leur propre tradition, à savoir les grandes conquêtes romanesques des années '50 et '60. b) Au Mexique l'écrivain a su sauvegarder son autorité, autrement dit qu'il est toujours écouté par les lecteurs, les critiques et les journalistes. c) Au Mexique ont séjourné et ont écrit plusieurs grands romanciers de l'Amérique latine (Monterroso, Márquez, Mutis, Onetti, Bolaño, etc.), de sorte que dans ce pays la diversité artistique et culturelle est une réalité de tous les jours et pas lettre morte. d) Au Mexique l'écrivain n'est pas à l'abri des enjeux et des calamités auxquels fait face son pays.
Revue trimestrielle fondée en 1993 et dirigée par Lakis Proguidis, L'Atelier du roman se consacre à la critique et à la réflexion sur le roman et sur son rapport au monde.
On y trouve : des critiques, des entretiens, des nouvelles, des débats...
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Anarchie en France, en Allemagne et en Savoie
Stéphan Huynh-tan
- Pierre-Guillaume De Roux
- 8 Février 2018
- 9782363712318
« Mais chicaner un écrivain sur ses goûts ! Mais le reprendre parce qu'il ne partage pas l'opinion des modernes, qui aura de toute façon évolué dans dix ans, dix mois ou dix jours ! Mais faire le pion de collège et traiter Stendhal en écolier sans cervelle et sans doctrine ! C'est le coeur léger que nous nous exposerons à ce ridicule. Stendhal est ce maître dont les leçons dispensent le savoir qu'un jeune homme aspire à maîtriser : il nous a tout appris de l'amour, de la liberté, de l'Italie, surtout de l'Italie... L'étudiant qui a bien suivi le cours a le droit d'apercevoir les tics et les travers du professeur et d'en sourire gentiment. Notre époque adule les hommes de génie et ménage les cancres. Aux cancres, il est demandé d'admirer sur commande les hommes de génie ; aux hommes de génie, de ne pas éclabousser de leur prééminence les cancres. Qui parle de cancres ? C'est « élèves en difficulté » qu'il faut dire. L'espèce intermédiaire a disparu. Autrefois, entre le pédant tout enfariné de son savoir et le rustre qui faisait parade de son ignorance, on rencontrait l'honnête homme. C'est à lui que s'adressait l'écrivain. Ami des livres sans être leur esclave, il appréciait qu'on lui parle des auteurs sans jargon ; c'est lui qui lisait les livres de Stendhal et c'est lui aussi qui les peuplait. Il en faisait la figuration. Comme je l'ai dit plus haut, Stendhal évoque souvent les salons du XVIII e siècle, où n'auraient dû être invités que les honnêtes gens. »
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« Le chroniqueur écrit pour lui, pour se regarder dans la glace sans rougir, pour le beau geste de ne pas avoir trahi une pensée, pour se sentir vivant dans une époque rance. Peu importe qu'il soit lu par dix ou dix mille personnes, il aura essayé de servir la littérature, le cinéma ou les arts en général, en quelques lignes. Le chroniqueur condense l'actualité du moment, sans la résumer. Il met ses mots dans la peau des autres. Quand une oeuvre l'a touché, il a le devoir, en retour, de la cajoler, de la faire briller et de ne pas décevoir son auteur. Il a lu, il a aimé, à lui la tâche difficile et excitante d'éclairer un talent. Dans ce recueil, j'ai réuni quelques fragments de 2017, un millésime cruel avec la disparition de Claude Rich, Jean Rochefort ou Johnny Hallyday, de belles reparutions dans des maisons courageuses et son lot de polémiques minables et d'emballements risibles. ... » Avec sa verve, son bagout, son art du portrait et des atmosphères, sa connaissance des moeurs, Thomas Morales fera faire au lecteur, une fois de plus, d'inoubliables rencontres. On aura ses entrées partout grâce à lui : cinéma, chanson, littérature, politique...et à toute époque !
Pour s'en convaincre, et en guise de mise en bouche, savourons un extrait de son hommage à Jean d'O :
« Nous sommes probablement quelques-uns à avoir aimé Jean d'O pour d'autres raisons que purement littéraires. Il fallait le voir circuler, au volant de son cabriolet Mercedes SL, dans les rues étroites de la Rive gauche. Quel spectacle ! Le teint halé, la cravate en tricot légèrement desserrée sur une chemise en oxford, le sourire avenant et le brio de la Grande Vie. . »
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Chesterton et la quête excentrique du centre
Joulie Gerard
- Pierre-Guillaume De Roux
- 6 Décembre 2018
- 9782363712622
Converti au catholicisme mais demeuré Anglais, c'est-à-dire excentrique, l'écrivain Gilbert Keith Chesterton (1874-1936) se fait une certaine idée de la rédemption chrétienne à l'ère du romantisme décadent qu'il exècre :
« Hérétique, c'est-à-dire excentrique par rapport à son centre anglican, lui-même hérétique et excentrique par rapport à Rome dont il s'est détaché, Chesterton oppose à l'éternel contradicteur Satan l'Homme Ordinaire, celui qu'il appelle le Common Man, autrement dit l'homme créé par Dieu, pécheur promis à la sainteté, alors que l'homme moderne, modelé sur le patron du dandy-luciférien est au contraire celui qui cherche à afficher sa différence.
Il opposera donc la classe moyenne, dont il est issu et dont il se veut être le massif et incontournable porte-parole, à l'excentricité périphérique du dandysme d'Oscar Wilde.
La décadence se produisant quand l'esthète prend le pas sur le croyant et que le « Beau », détaché du Bien et du Vrai croit pouvoir cavaler seul jusqu'aux bords brumeux du Néant. » D'où une vie de combat, de grosse bagarres et d'aventures inénarrables :
« Un récit de Chesterton, c'est toujours une aventure exceptionnelle et flamboyante. Comment !
L'ordre, la raison, le bon sens auraient-ils des ailes ! Alors qu'une opinion courante veut que plus le héros est grand, plus il se confond avec tout le monde, plus il se fond dans la grisaille ambiante, plus il a de chances d'atteindre à l'universalité, Chesterton, lui, croque des types fantastiques, des excentriques, des lunatiques au sens propre du terme. Pour ces héros si actifs, si ardents, le monde est avant tout un champ de bataille où les bons repoussent perpétuellement les mauvais, l'esprit aussi tranquille que des guerriers entrant au Walhalla, car ces méchants sont de telle sorte qu'on n'en peut faire autre chose que de les boxer ou les pendre. »
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Les jardins suspendus ; lectures et rencontres (1968-2018)
Jean-louis Kuffer
- Pierre-Guillaume De Roux
- 15 Novembre 2018
- 9782363712714
Voici un ensemble de chroniques littéraires et d'entretiens portant sur un demi-siècle de littérature.
Ce tableau kaléidoscopique émane d'un lecteur aussi passionné qu'indépendant, attaché à la « palpite » du style non moins qu'à l'émotion, à la musique verbale autant qu'à la quête de sens, aussi attentif au chant du monde - d'où sa prédilection pour l'oeuvre d'un Charles-Albert Cingria -, qu'au poids du monde et au tragique de la condition humaine; de là aussi la fidélité de l'auteur, longtemps proche des éditions L'Âge d'Homme, aux oeuvres des écrivains russes ou de l'Europe de l'Est (de son « ami » Tchékhov à Dostoïevski ou Soljenitsyne, en passant par Stanislaw Ignacy Witkiewicz, Ladislas Reymont ou Alexandre Tisma, notamment) et des auteurs conjuguant la densité humaine et l'originalité du style, de Thomas Wolfe à Alice Munro ou Annie Dillard, de Robert Walser à Thomas Bernhard, de William Trevor à Fleur Jaeggy, dans la perspective d'une lecture du monde non académique et volontiers en rupture avec le «buzz» médiatique.
Panorama très varié des littératures contemporaines - avec quelques incursions dans le passé, d'Amiel à Joubert-, le présent ouvrage est en outre émaillé d'entretiens avec des auteurs contemporains de toute sorte.
De Lucien Rebatet le «maudit» à Patricia Highsmith en sa cassine tessinoise, de Doris Lessing à Gore Vidal ou William Styron, en passant par Milan Kundera, Dominique de Roux, Albert Cossery ou Georges Haldas, Yves Bonnefoy ou Nicolas Bouvier, entre autres, ces rencontres ont double valeur de portraits et de compléments à la présentation des oeuvres.
Si le noyau de ce livre est d'ordre poétique, comme l'indique son titre, c'est surtout par son ton personnel et par sa pratique du contrepoint - avec ses multiples variations sur des thèmes liés à la lecture, à l'écriture ou à la vie du livre -, qu'il se distingue d'une ordinaire compilation d'articles.
Le projet des Jardins suspendus s'inscrit enfin dans une défense et illustration de la littérature, en opposition vive à tout ce qui réduit le livre à un banal objet de consommation.
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Longtemps décrié, L' Essai sur l'inégalité des races humaines, oeuvre majeure d'Arthur de Gobineau (1816-1882), écrivain, diplomate et homme politique, demeure, cependant, d'une actualité frappante de nos jours. L'hérédité - qui, selon lui, détermine de façon décisive les probabilités d'avènement civilisationnel pour chaque groupe humain - est au coeur de sa pensée. C'est le sang qui parle et rien d'autre. Comment ne pas discerner les différences profondes de tempérament et d'idéal qui existent entre les différentes «races» ? C'est d'abord en historien et en géographe que Gobineau raisonne. Et il a fort à faire à une époque où l'égalitarisme triomphant, imprégné de christianisme, décrète que l'homme rencontre partout son semblable. La question fondamentale que se pose Gobineau est pourtant des plus pertinentes : comment éviter l'irrémédiable déclin auquel semblent vouées toutes les sociétés, fussent les plus accomplies ?
L'exemple de la chute de Rome, submergée par ses éléments étrangers, barbares, lui fait entrevoir la réponse : le déclin se profile à chaque fois que les membres d'une société décident de se mélanger à des éléments qui lui sont extérieurs et, le plus souvent, moins avancés. Constat lourd de conséquences ! Pour Gobineau, l'élément blanc constitue tout moteur de civilisation, en effet. Encore faut-il largement nuancer car cet élément «blanc» qu'il vénère tant est déjà le fruit d'un profond métissage. A titre d'exemple, la société idéale à ses yeux n'est nulle autre que l'Inde du temps des castes. Quant à l'élément sémite, il le porte très haut dans son estime, cela ne fait aucune doute. Il est bon de le rappeler dans la mesure où l'oeuvre de Gobineau fut longtemps assimilée à la pensée de l'Allemagne raciste et nazie. Plus encore, les récentes conquêtes de la génétique moderne et des neurosciences - qui viennent relancer la question de l'inné par rapport à l'acquis avec une force jamais égalée - accordent, qu'on le veuille ou non, une vraisemblance accrue à la thèse centrale de l'Essai. Il n'est plus guère possible de séparer le domaine culturel du génétique à notre époque. Cette équation soulève des questions brûlantes... alors que le métissage est devenu incontournable et que la question des origines et du choix de la culture dominante revêt une importance grandissante dans la conscience collective. En attendant, il est temps de suivre Gobineau, pas à pas, dans sa démarche si audacieuse. N'oublions pas qu'en plus d'observer une méthode résolument scientifique, il fut également un orientaliste distingué, grand voyageur, ministre de France à Téhéran, à Athènes puis à Rio de Janeiro et Stockholm, inventeur d'un genre littéraire, celui de la « nouvelle exotique », que Joseph Conrad mettra à la mode beaucoup plus tard, l'homme avait de multiples talents. Il nous a laissé, à travers des essais, des récits de voyage et des nouvelles, une vision si pénétrante de l'Orient - sans parler de la force d'évocation des lieux et des hommes - que leur lecture devient indispensable si nous voulons comprendre les événements récents surgis de ces régions, ainsi que leurs conséquences prévisibles pour l'Europe.