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Sabine Wespieser
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Le café sans nom
Robert Seethaler
- Sabine Wespieser Éditeur
- Litterature Etrangere
- 7 Septembre 2023
- 9782848054926
Chaque matin, en allant au marché des Carmélites où il travaille comme journalier, dans un faubourg populaire de Vienne, Robert Simon scrute l'intérieur du café poussiéreux dont il rêve de reprendre la gérance. Encouragé par l'effervescence qui s'est emparée de la ville, en pleine reconstruction vingt ans après la chute du nazisme, il décide, la trentaine venue, de se lancer dans une nouvelle vie. Comme le lui dit sa logeuse, une veuve de guerre : « il faut toujours que l'espoir l'emporte un peu sur le souci. Le contraire serait vraiment idiot, non ? ».
En cette fin d'été 1966, c'est avec un sentiment d'exaltation qu'il remet à neuf le lieu qui va devenir le sien. Homme modeste, de peu de mots, il trouverait prétentieux de lui donner son propre patronyme : ce sera donc le « Café sans nom », où va bientôt se retrouver un petit monde d'habitués. Le succès est tel que Robert ne tarde pas à proposer à Mila, une jeune couturière juste licenciée par son usine, de venir le seconder.
En quelques traits, en quelques images saisissantes, l'écrivain rend terriblement attachantes les figures du quotidien qui viennent, le temps d'un café, d'une bière ou d'un punch, partager leurs espoirs ou leurs vieilles blessures. Et si, au fil des saisons et des années, des histoires d'amour se nouent, bagarres et drames ne sont jamais loin, battant le pouls de la ville.
Robert Seethaler puise en effet l'inspiration de son nouveau et magnifique roman dans l'endroit qui l'a vu naître : ses descriptions de Vienne émergeant des décombres, à l'ombre tutélaire de la Grande Roue du Prater, confèrent aux personnages du Café sans nom, et notamment à celui qui en est l'âme, une tendresse et une saveur bien particulières. -
Sur le pont du paquebot qui le ramène en Europe après une ultime saison à New York, Gustav Mahler laisse dériver ses pensées. À cinquante ans, il est un compositeur adulé et le chef d'orchestre le plus réputé de son temps, mais son corps souffrant lui rappelle que la fin est proche. Emmitouflé dans une épaisse couverture, l'oeil rivé sur la mer grise, son esprit dévide des souvenirs, surgis à la faveur d'une sensation fugace - le cri d'une mouette, l'ombre d'un nuage...
Robert Seethaler excelle à suggérer en quelques traits le pur bonheur des étés à la montagne, tout comme, dans un registre bien différent, la décennie pendant laquelle Mahler a réformé et dirigé l'Opéra de Vienne. L'amour tourmenté du musicien pour sa femme Alma, son chagrin à la mort de sa fille aînée et, bien sûr, la haute conception de son art traversent ce texte aussi bref que profond.
Sans la moindre emphase, l'écrivain restitue la légendaire exigence du maître, bourreau de travail malgré sa faible constitution, de même que sa quête permanente de la beauté.
C'est sans doute de son apparente simplicité que cet intense roman tire sa force. Les rares mots échangés face à l'océan entre l'illustre passager et le jeune garçon de cabine chargé de veiller à son bien-être sont à cet égard exemplaires.
Portrait tout en intériorité d'un artiste dont le génie ne s'est jamais tari, Le Dernier Mouvement est également une poignante méditation sur la puissance de la création.
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Le tabac Tresniek
Robert Seethaler
- Sabine Wespieser Éditeur
- Litterature Etrangere
- 2 Octobre 2014
- 9782848051673
En août 1937, le jeune Franz Huchel, contraint de gagner sa vie, quitte ses montagnes de Haute-Autriche pour apprendre un métier à Vienne chez Otto Tresniek, buraliste unijambiste, bienveillant et caustique, qui ne plaisante pas avec l'éthique de la profession. Au Tabac Tresniek, se mêlent classes populaires et bourgeoisie juive de la Vienne des années trente. La tâche du garçon consistera d'abord à retenir les habitudes et les marottes des clients - comme celles du « docteur des fous », le vénérable Freud en personne, toujours grand fumeur de havanes - et aussi à aiguiser son esprit par la lecture approfondie des journaux, laquelle est pour Otto Tresniek l'alpha et l'oméga de la profession.
Mais, si les rumeurs de plus en plus menaçantes de la montée du national-socialisme et la lecture assidue de la presse font rapidement son éducation politique, sa connaissance des femmes, elle, demeure très lacunaire. Éperdument amoureux d'une jeune artiste de variété prénommée Anezka et ne sachant à quel saint se vouer, il va chercher conseil auprès du célèbre professeur, qui habite à deux pas. Bien qu'âgé et tourmenté par son cancer de la mâchoire, Freud n'a rien perdu de son acuité intellectuelle, mais se déclare incompétent pour les choses de l'amour. Il va pourtant céder à l'intérêt tenace que lui témoigne le jeune garçon, touché par sa sincérité et sa vitalité. Une affection paradoxale s'installe ainsi entre le vieux Freud et ce garçon du peuple, vif et curieux, à qui il ouvre de nouveaux horizons.
Mais les temps ne sont guère propices aux purs et, dès mars 1938, l'Anschluss va mettre un terme brutal à l'apprentissage de Franz et à sa prestigieuse amitié. Otto Tresniek, qui persiste à vendre à sa clientèle juive, est arrêté, et Franz tenu de reprendre le magasin. Le jeune homme gère la boutique du mieux qu'il peut. Notant ses rêves sur la suggestion de Freud, il en fait un usage inédit qui s'avère une stratégie commerciale payante : chaque matin il affiche sur la vitrine son rêve de la nuit, attirant ainsi passants intrigués et clients potentiels. Son commerce s'en trouve mieux, mais ses amours vont mal...
Après avoir appris l'assassinat de Tresniek dans les locaux de la Gestapo et assisté au départ en Angleterre de Freud acculé à l'exil, Franz ose un geste de révolte magnifique et désespéré. En lieu et place de la gigantesque croix gammée qui flotte sur Vienne, il parvient, à la barbe des gestapistes, à hisser le pantalon d'Otto Tresniek, dont l'unique jambe gonflée par le vent s'élève dans le ciel viennois. Tel un index pointé vers le lointain, elle fait signe à ses habitants de prendre le large. Mais on ne nargue pas impunément les dictatures...
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Une vie entière
Robert Seethaler
- Sabine Wespieser Éditeur
- Litterature Etrangere
- 1 Octobre 2015
- 9782848051949
Bien souvent dans le restant de sa vie, Andreas Egger repensera à ce matin de février dix-neuf cent trente-trois où il a découvert le chevrier Jean des Cornes agonisant sur sa paillasse. Dans une hotte arrimée à son dos, il l'a porté au village, sur un sentier de montagne de plus de trois kilomètres enfoui sous la neige. Pour se remettre d'aplomb après cette course hallucinée, il fait halte à l'auberge : quand le corsage de Marie, la jeune femme qui lui sert son schnaps, effleure son bras, une petite douleur l'envahit tout entier.
Andreas Egger a déjà trente-cinq ans alors, et il a construit sa vie tout seul : orphelin, il a été recueilli à quatre ans par une brute dont les coups l'ont rendu boiteux. Malgré cela, comme il le dit à Marie au moment de lui demander sa main : un homme doit « élever son regard, pour voir plus loin que son petit bout de terre, le plus loin possible. » Aussi prend-il part à l'aventure des téléphériques, qui vont ouvrir sa vallée à la modernité, avant d'être envoyé sur le front de l'Est, dans les montagnes du Caucase. À son retour, « le maire n'est plus nazi, à la place des croix gammées les géraniums ornent de nouveau les fenêtres des maisons » et les étables vidées de leurs bêtes abritent les skis des touristes.
Pris par la force visuelle de certaines scènes - la déclaration d'amour à Marie est un morceau d'anthologie -, et par une langue sobre et rythmée où chaque mot est pesé, on ne lâche pas ce saisissant portrait d'un homme ordinaire, devenu bouleversant parce qu'il ne se donne d'autre choix que d'avancer.
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Le champ
Robert Seethaler
- Sabine Wespieser Éditeur
- Litterature Etrangere
- 9 Janvier 2020
- 9782848053417
Comment caractériser une vie entière ? Les voix qui s'élèvent ici sont celles des habitants du cimetière, qu'on nomme « le champ » dans la petite ville de Paulstadt. À la concision des épitaphes, l'écrivain substitue les mots des défunts. Par un souvenir, une sensation fugace, une anecdote poignante, chacun de ces narrateurs évoque ce que fut son existence.
Au fil de la lecture émerge le portrait d'une bourgade comme tant d'autres, marquée par le retour de la prospérité au mitan du siècle dernier. La vie tourne autour des figures locales : le maire, la fleuriste, le facteur, le curé dévoré par les flammes dans l'incendie de l'église, le marchand de légumes...
Les voix se font écho, s'entrelacent, se contredisent parfois, formant le tableau d'une communauté riche d'individus et de sensibilités différentes. Subtil interprète de l'âme humaine, Robert Seethaler se penche sur leur intimité : les amours naissantes, les amours heureuses, ou moins harmonieuses - quand les fantasmagories de la femme signent pour son époux échec, malheur et drame.
Le plus saisissant dans ce texte est l'émotion qui sourd de chaque histoire : non celle de savoir le protagoniste disparu, mais l'empathie que parvient à susciter l'auteur pour ces êtres si vivants, leurs espoirs, leurs doutes, leurs ambitions, leur solitude.
Le Champ est un livre sur la vie, que Seethaler réussit à dire avec autant de simplicité que de profondeur.