«Pourquoi le cacher ? Ce n'est pas une poésie facile. Ses difficultés sont à proportion, en nous, des vieilles habitudes de voir et de leur résistance : René Char ou la jeunesse des mots, du monde... Il faut le lire et le relire pour, peu à peu, sentir en soi la débâcle des vieilles digues, de l'imagination paresseuse... Poésie qui se gagne, comme la terre promise de la légende et de l'histoire : celui-là qui y plante sa tente, qu'il soit assuré de s'en trouver plus fort et plus juste.» Yves Berger.
Dans Folioplus classiques, le texte intégral, enrichi d'une lecture d'image, écho pictural de l'oeuvre, est suivi de sa mise en perspective organisée en six points : - Mouvement littéraire : La Résistance, un devoir de poète - Genre et registre : Le fragment poétique - L'écrivain à sa table de travail : Du carnet de guerre aux Feuillets d'Hypnos - Groupement de textes : La poésie en procès - Chronologie : René Char et son temps - Fiche : Des pistes pour rendre compte de sa lecture. Recommandé pour les classes de lycée.
Qu'il vive ! Dans mon pays, les tendres preuves du printemps et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts lointains. La vérité attend l'aurore à côté d'une bougie. Le verre de fenêtre est négligé. Qu'importe à l'attentif. Dans mon pays, on ne questionne pas un homme ému. Il n'y a pas d'ombre maligne sur la barque chavirée. Bonjour à peine, est inconnu dans mon pays. On n'emprunte que ce qui peut se rendre augmenté. Il y a des feuilles, beaucoup de feuilles sur les arbres de mon pays. Les branches sont libres de n'avoir pas de fruits. On ne croit pas à la bonne foi du vainqueur. Dans mon pays, on remercie. (in Les Matinaux)
«On ne parle pas de René Char (1907-1988) : on le lit, on le dit, on l'entend, on le voit, tel un tableau de ces peintres, ces alliés substantiels qui l'ont parfois illustré, ou l'un de ces paysages où il s'est enraciné, entre la Sorgue et le Luberon, domaine poétique qu'il a défendu par des mots comme les armes à la main. Tout poète réinvente le langage. Le sien est fait d'alliances inouïes, lyre pour des monts internés, approfondissant l'entreprise surréaliste jusqu'à l'expérience métaphysique la plus évidente et la plus nécessaire, celle de l'espace et du temps, à l'école d'Héraclite et de Heidegger. Couleur et douleur, soleil et rivière ou pluie, il faut faire du chemin avec...» Daniel Poirion.
Le nu perdu Porteront rameaux ceux dont l'endurance sait user la nuit noueuse qui précède et suit l'éclair. Leur parole reçoit existence du fruit intermittent qui la propage en se dilacérant. Ils sont les fils incestueux de l'entaille et du signe, qui élevèrent aux margelles le cercle en fleurs de la jarre du ralliement. La rage des vents les maintient encore dévêtus. Contre eux vole un duvet de nuit noire.
Commune présence est un recueil composé par René Char lui-même : son anthologie personnelle, avec un parcours de lecture qui n'obéit pas à la chronologie mais au jeu des résonnances. «Le poète est maître de rapprocher ses routes sur le damier du temps. Ou de se suivre sur de plus longs silences», écrit Georges Blin dans sa préface.Cet ouvrage, qui n'appartient pas sous cette forme au corpus de la Pléiade, constitue sans doute l'accès privilégié à la poésie de René Char. Ici se déploient les grands thèmes d'une création qui, sans faiblesse, fait toute la place à la beauté, qui proclame qu'il n'y a pas de fatalité douteuse attachée à l'action et que l'homme, avec sa part de rêve, son poids de tendresse, ses désirs fougueux ou fragiles, peut sortir du chaos, grandi et inentamé.René Char a sans doute recueilli l'héritage d'une fée impérieuse : il est doué d'une perception ardente qui le fait complice de toutes les métamorphoses, le met à l'écoute de toutes les effractions, de toutes les aventures, de toutes les communions de la nature. Ce don si personnel, il a l'élégance de le partager, afin d'en révéler à tous la commune présence.
« C'est dans l'intimité que s'épanouissent les rencontres. Cette anthologie d'un poète, dont la voix rassemble les milieux les plus divers et dont la haute figure s'étend sur le siècle plus largement et plus profondément qu'une autre, ouvre une voie, un "chemin du secret" vers l'intimité du lecteur. La rencontre avec René Char, que les auteurs de cette anthologie ont voulue pour le grand public et plus particulièrement pour le public scolaire, naît sous une lumière qui par notes, par images, par mises en situation des poèmes, éclaire et apprivoise des textes perçus justement comme saisissants par leur concentration. [.] Éclairant le chemin de vie et d'écriture de René Char, ce livre offre [.] à tous ceux dont le poète écrivait : "Ils disent des mots qui leur restent au coin des yeux", les conditions d'une lecture intime. »
Pascal Charvet.
«Soudain - à la suite de quelle maladresse ? - la tour de mes poèmes s'écroula au sol, se brisa comme verre. Sans doute, forçant l'allure et rencontrant le vide, avais-je voulu saisir, contre son gré, la main du Temps - le Temps qui choisit -, main qu'il n'était pas décidé à me donner encore. Le marteau sans maître, Placard pour un chemin des écoliers, Art bref, Dehors, la nuit est gouvernée, n'avaient plus du livre que le nom. Je ramassai trente-trois morceaux. Après un moment de désarroi, je constatai que je n'avais perdu dans cet accident que le sommet de mon visage.»
«Base et sommet, pour peu que les hommes remuent et divergent, rapidement s'effritent. Mais il y a la tension de la recherche, la répugnance du sablier, l'itinéraire nonpareil, jusqu'à la folle faveur, une exigence de la conscience enfin à laquelle nous ne pouvons nous soustraire, avant de tomber au gouffre. Pourquoi me soucierais-je de l' histoire, vieille dame jadis blanche, maintenant flambante, énorme sous la lentille de notre siècle biseauté ? Elle nous gâche l'existence avec ses précieux voiles de deuil, ses passes magnétiques, ses dilatations, ses revers mensongers, ses folâtreries. Je m'inquiète de ce qui s'accomplit sur cette terre, dans la paresse de ses nuits, sous son soleil que nous avons délaissé. Je m'associe à son bouillonnement. Par la trêve des décisions s'ajourne quelque agonie.»
«Les poèmes sont des bouts d'existence, fruits d'une furieuse bataille dont brouillons ou manuscrits gardent la trace. Mais qu'en était-il de leur existence, avant leur publication en recueil?C'est le fil que l'on déroule ici:celui de la création, de l'état primitif des poèmes qui paraissent en revue, en plaquettes à tirage limité pour renaître sous un nouveau titre, kidnappés d'un volume, transformés dans un autre. Enfance, premiers écrits, adhésion au mouvement surréaliste, Résistance - autant de moments où Char se révolte et, au coeur du combat, forge ses mots et tisse ses alliances. Une histoire des poèmes imbriquée dans la vie du poète dans un parcours chronologique qui respecte le souci constant de Char de protéger l'intimité de son être.À cet artisanat furieux de celui qui oeuvre dans son atelier se joignent les peintres, auxquels Char confie le soin d'enluminer ses textes. Des échanges de correspondance avec les philosophes, les poètes, les écrivains:Blanchot, Camus, Éluard, Gracq, Lely, Saint-John Perse; avec les peintres, dont on trouvera les oeuvres reproduites:Braque, Brauner, Giacometti, Valentine Hugo, Wifredo Lam, Matisse, Miró, Picasso, Nicolas de Staël, Vieira da Silva... scandent ce cheminement.Dans l'atelier du poète évoque ce trajet de vie dans le foyer incandescent de la poésie.»Marie-Claude Char.
Bestiaire dans mon trèfle Soupçonnons que la poésie soit une situation entre les alliages de la vie, l'approche de la douleur, l'élection exhortée, et le baisement en ce moment même. Elle ne se séparerait de son vrai coeur que si le plein découvrait sa fatalité, le combat commencerait alors entre le vide et la communion. Dans ce monde transposé, il nous resterait à faire le court éloge d'une Soupçonnée, la seule qui garde force de mots jusqu'au bord des larmes. Sa jeune démence aux douze distances croyant enrichir ses lendemains s'illusionnerait sur la moins frêle aventure despotique qu'un vivant ait vécu en côtoyant les chaos qui passaient pour irrésistibles. Ils ne l'étaient qu'intrinsèquement mais sans une trace de caprice. Venus d'où? D'un calendrier bouleversé bien qu'uni au Temps, sans qu'en soit ressentie l'usure. Verdeur d'une Soupçonnée... [...]
«Je pense que si je n'avais écrit que Le Marteau sans maître, on me situerait quelque part dans le surréalisme, ce qui serait inexact. Quand j'ai écrit Arsenal, je n'avais que dix-sept ans et je ne savais même pas que le surréalisme existait. [...] J'ai toujours ignoré l'écriture automatique et tout ce que j'ai écrit était consciemment élaboré.» Publiée en 1990 dans l'ouvrage de Paul Veyne, cette déclaration de René Char résume son engagement pris dans un mouvement dont il ne fut que le «locataire» durant quelques années.Le Marteau sans maître témoigne de cette proximité et de ce passage. Tous les poèmes ici regroupés par René Char, et dont il a plusieurs fois modifié les intitulés et l'ordre, proviennent de son fonds propre, c'est-à-dire de ce qui le singularise et confère à sa voix ce timbre irréductible qui n'appartient qu'à lui.D'emblée, il y a, en dépit du titre qui suggère une énergie sans frein, une volonté de maîtrise, un repérage dans le champ du réel, et une façon d'être au monde sans faiblesse.
«Combien souffre ce monde, pour devenir celui de l'homme, d'être façonné entre les quatre murs d'un livre ! Qu'il soit ensuite remis aux mains de spéculateurs et d'extravagants qui le pressent d'avancer plus vite que son propre mouvement, comment ne pas voir là plus que de la malchance ? Combattre vaille que vaille cette fatalité à l'aide de sa magie, ouvrir dans l'aile de la route, de ce qui en tient lieu, d'insatiables randonnées, c'est la tâche des Matinaux. La mort n'est qu'un sommeil entier et pur avec le signe plus qui le pilote et l'aide à fendre le flot du devenir. Qu'as-tu à t'alarmer de ton état alluvial ? Cesse de prendre la branche pour le tronc et la racine pour le vide. C'est un petit commencement.» René Char.
«Soupçonnons que la poésie soit une situation entre les alliages de la vie, l'approche de la douleur, l'élection exhortée, et le baisement en ce moment même. Elle ne se séparerait de son vrai coeur que si le plein découvrait sa fatalité, le combat commencerait alors entre le vide et la communion. Dans ce monde transposé, il nous resterait à faire le court éloge d'une Soupçonnée, la seule qui garde force de mots jusqu'au bord des larmes. Sa jeune démence aux douze distances croyant enrichir ses lendemains s'illusionnerait sur la moins frêle aventure despotique qu'un vivant ait vécu en côtoyant les chaos qui passaient pour irrésistibles. Ils ne l'étaient qu'intrinsèquement mais sans une trace de caprice. Venus d'où? D'un calendrier bouleversé bien qu'uni au Temps, sans qu'en soit ressentie l'usure. Verdeur d'une Soupçonnée...» René Char.
«Ce recueil rassemble trente-cinq poèmes récents, composés de 1975 à 1977 (à l'exception d'un poème datant de 1926). Ces poèmes, souvent courts, décrivent les buis rougeoyants de la Genestière, la terre craquelée, les éToiles, la neige, l'hiver et ce sentiment de fin du monde qui traverse l'époque. Puis de grandes pages véhémentes sur les temps modernes : ses usines, ses sciences, ses guerres, ses déportations. Enfin de petits poèmes versifiés, souvent avec refrain, comme de courtes chansons.» (Bulletin Gallimard, oct. 1977.)
Les oeuvres réunies dans Trois coups sous les arbres représentent l'ensemble du théâtre de René Char (1946-1952). La langue qu'on parle dans Sur les hauteurs, Claire et Le Soleil des Eaux est une langue simple et quotidienne, mais la poésie n'y est pas moins partout présente.«Je crois, écrit en effet René Char dans Le Soleil des Eaux, que la poésie, avant d'acquérir pour toujours, et grâce à un seul, sa dimension et ses pouvoirs, existe préliminairement en traits, en spectre et en vapeur dans le dialogue des êtres qui vivent en intelligence patente avec les ébauches autant qu'avec les grands ouvrages accomplis de la création.» C'est d'un tel dialogue que Trois coups sous les arbres nous offre l'image, animant un monde à demi véridique, à demi imaginé, du théâtre sans en être tout à fait, «principalement quelque chose qui soit de la vie deux ou trois fois multipliée, pas plus».Le livre comprend également deux arguments de ballet et ce que René Char appelle une Sédition:L'Homme qui marchait dans un rayon de soleil.
«Les premières rencontres de cet ouvrage suivent le rythme de ces ruisseaux prodigues qui poussent leurs eaux dans des terres de plus en plus accablées : Faire du chemin avec tente de rétablir l'espoir comme l'acte de s'orienter d'instinct dans le visible et dans l'invisible. Puis des compagnons de vindicte au beau visage averti, des peintres, des passantes chanceuses, aussi des inconnus aux mains glissantes d'ébauches délaissées, montrent diversement habitable notre monde tragique ou comique, mais qui recherche l'art. Compagnie aiguisante, parfois déambulation effacée, et partout l'inimitié des nations, des individus, des choses et des événements qui mènent au lieu extrême d'où la voix s'élèvera : Au terme du tourbillon des marches, la porte n'a pas de verrou de sûreté : c'est le toit. Je suis pour ma joie au coeur de cette chose, ma douleur n'a plus d'emploi. Tous partis assemble pierre sur pierre la réalité utilisée à d'autres fins, tels les gradins taillés du théâtre d'Épidaure. Effilage du sac de jute, en dernier, est le chant indivisible, exposé à la juste hauteur, celle de l'érable à l'ouïe si fine.» René Char.
«Retour amont ne signifie pas retour aux sources. Il s'en faut. Mais saillie, revif, retour aux aliments non différés de la source, et à son oeil, amont, c'est-à-dire au pire lieu déshérité qui soit. La conclusion, nous la demanderons à Georges Bataille:Cette fuite se dirigeant vers le sommet (qu'est, dominant les empires eux-mêmes, la composition du savoir) n'est que l'un des parcours du labyrinthe. Mais ce parcours qu'il nous faut suivre de leurre en leurre, à la recherche de l'être, nous ne pouvons l'éviter d'aucune façon.» René Char.
«Si l'on jugeait utile de ressaisir en peu de traits la force du poème tel qu'il s'éclaire dans l'oeuvre de René Char, l'on pourrait se contenter de dire qu'il est cette parole future, impersonnelle et toujours à venir où, dans la décision d'un langage commençant, il nous est cependant parlé intimement de ce qui se joue dans le destin qui nous est le plus proche et le plus immédiat. C'est, par excellence, le chant du pressentiment, de la promesse et de l'éveil, - non pas qu'il chante ce qui sera demain, ni qu'en lui un avenir, heureux ou malheureux, nous soit précisément révélé -, mais il lie fermement, dans l'espace que retient le pressentiment, la parole à l'essor et, par l'essor de la parole, II retient fermement l'avènement d'un horizon plus large, l'affirmation d'un jour premier. L'avenir est rare, et chaque jour qui vient n'est pas un jour qui commence. Plus rare encore est la parole qui, dans son silence, est réserve d'une parole à venir et nous tourne, fût-ce au plus près de notre fin, vers la force du commencement. Dans chacune des oeuvres de René Char, nous entendons la poésie prononcer le serment qui, dans l'anxiété et l'incertitude, l'unit à l'avenir d'elle-même, l'oblige à ne parler qu'à partir de cet avenir, pour donner, par avance, à cette venue, la fermeté et la promesse de sa parole.» Maurice Blanchot.
«Album unique, qui mêle cartes postales anciennes de L'Isle-sur-Sorgue et poèmes, ce Trousseau de Moulin Premier confectionné par René Char en 1937 porte les traces d'événements extérieurs et intimes. [...] Les sens aiguisés par la souffrance et la lucidité, Char se livre à la rédaction d'une série de vers aphoristiques qui formeront les recueils Moulin Premier, paru en décembre 1936, et Dehors la nuit est gouvernée, publié en 1938. Au regard des cartes postales figure le premier jet du poème «Versions», transformé et remanié plus tard en «Dent prompte». Offert par René Char en juin 1937 à Greta Knutson, ce Trousseau de Moulin Premier augure de leur commune passion, révélée dans le poème lyrique et impétueux «Le Visage nuptial», qui paraîtra en décembre 1938.» Marie-Claude Char.
Cette anthologie des poèmes de René Char est un document historique exceptionnel. Les poèmes choisis et lus par l'auteur en 1987, un an avant sa mort, sont tirés de ses principaux recueils : Fureur et Mystère, journal de guerre du résistant, Les Matinau x, temps du retour au pays natal, La Parole en archipel, Nu Perdu ou Aromates chasseurs, espaces du rayonnement de l'amour et de l'amitié en poésie. Avec la présence de René Char, l'énergie de la révolte, l'éveil des consciences et des corps à la vie s'imposent dans ce voyage au coeur de son oeuvre poétique.