Lorsque le narrateur décide de questionner ses parents sur leur pays d'origine, le Liban, il ne sait pas très bien ce qu'il cherche. La vie de ses parents ? De son père, poète-journaliste tombé amoureux des yeux de sa femme des années auparavant ? Ou bien de la vie de son pays, ravagé par des années de guerre civile ?Alors qu'en 1975 ses parents décident de vivre à Paris pendant deux ans, le Liban sombre dans un conflit sans fin. Comment vivre au milieu de tout cet inconnu parisien quand tous nos proches connaissent la guerre, les attentats et les voitures piégées ? Déambuler dans la capitale, préparer son doctorat, voler des livres chez Gibert Jeune semble dérisoire et pourtant ils resteront ici, écrivant frénétiquement des lettres aux frères restées là-bas, accrochés au téléphone pour avoir quelques nouvelles. Très vite pourtant la guerre pénètre le tissu parisien : des bombes sont posées, des attentats sont commis, des mots comme « Palestine », « organisation armée », « phalangistes » sont prononcés dans les JT français.Les années passent, le conflit politique continue éternellement de s'engrener, le Liban et sa capitale deviennent pour le narrateur un ailleurs dans le quotidien, un point de ralliement rêvé familial. Alors il faut garder le lien coûte que coûte notamment à travers ces immenses groupes de discussion sur WhatsApp. Le Liban, c'est la famille désormais. Incisif, poétique et porté par un humour plein d'émotions, Beyrouth-sur-Seine est une réflexion sur la famille, l'immigration et ce qui nous reste de nos origines.
Ce périple, les trois jeunes gens l'ont entrepris au mépris du danger, au péril de leur vie, et malgré les supplications de leurs fiancées respectives. Ils l'ont fait pour le rayonnement de la France, le progrès de la science et aussi un peu pour passer le temps.
Il en résulte un roman d'aventure avec de l'action à l'intérieur et aussi des temps calmes et du passé simple. Ceci est une expérience de lecture immersive. Hormis deux ou trois passages inquiétants, le suspense y est supportable et l'oeuvre reste accessible au public poitrinaire. A noter la présence de nombreux adverbes.
L'éditeur ne saurait être tenu responsable des mauvaises idées que ce livre ne manquera pas d'instiller dans le cerveau vicié des nouvelles générations gavées d'écran et pourries à la moelle.
«Je veux respirer sur scène, entendre les trois coups chaque soir, commettre des crimes, des infanticides, des adultères, aimer éperdument, haïr follement, voyager à travers les époques, changer de sexe, m'empoisonner, mourir, renaître.»Romy, vingt ans, arrive à Paris avec le rêve d'être comédienne. Pour subsister et payer le Cours Florent, elle travaille dans un club de strip-tease à Pigalle. Odette, vieille fille de quatre-vingt-neuf ans, la loge contre un loyer modique et un peu de compagnie. String à paillettes et crucifix devront faire bon ménage. Deux femmes s'apprivoisent, entre chien et loup. Elles nouent une relation faite de fascination et de dépendance, se renvoyant en miroir leurs corps meurtris, leurs solitudes, leurs folies, leurs enfances volées et surtout leur désir de vivre. Dans cette emprise mutuelle, jusqu'où seront-elles capables d'aller ?On retrouve ici la puissance viscérale de l'écriture de Joffrine Donnadieu, qui décrit avec acuité la violence des rapports sociaux, l'apprentissage du théâtre, la vie des corps.
Quarante ans après la mort de son oncle Désiré, Anthony Passeron décide d'interroger le passé familial. Évoquant l'ascension de ses grands-parents devenus bouchers pendant les Trente Glorieuses, puis le fossé grandissant apparu entre eux et la génération de leurs enfants, il croise deux histoires : celle de l'apparition du sida dans une famille de l'arrière-pays niçois - la sienne - et celle de la lutte contre la maladie dans les hôpitaux français et américains.
Dans la lignée d'Annie Ernaux ou de Didier Éribon, Anthony Passeron mêle enquête sociologique et histoire intime. Dans ce roman de filiation, il évoque la solitude des familles à une époque où la méconnaissance du virus était totale, le déni écrasant, et le malade considéré comme un paria.
Farah, adolescente, a toujours connu L'Église de la Treizième Heure pour la bonne raison que Lenny, son père, en est le fondateur. Elle vit en communauté dans cette Église millénariste un peu spéciale : féministe, queer, animaliste. On y récite Nerval ou Rimbaud. Lenny rassemble ses ouailles autour de messes poétiques et d'ateliers de déparasitage psychique. La Treizième Heure, c'est aussi l'heure de la révélation, du déclenchement merveilleux, le moment où le monde basculera dans un état apaisé, le triomphe des pauvres, des dominés, des humiliés. Les membres de la communauté l'espèrent d'autant plus qu'ils sont fragiles, angoissés devant les menaces qui pèsent sur la planète : épidémies, guerres, réchauffement climatique... Leader incontesté des « treiziémistes », Lenny élève seul sa fille Farah. Hind, son grand amour, l'ayant abandonné à la naissance du bébé.
Le roman se divise en trois parties, racontées par chacun des membres de cette famille à la fois déglinguée et très contemporaine. Farah, née intersexuée, est d'abord inconditionnelle de son père, acquise à sa cause délirante, mais devient plus critique en grandissant : son père lui a menti sur sa filiation. En menant l'enquête, elle comprend qu'elle n'avait pas une mère mais deux ! Hind et Sophie. Comment est-ce possible ? Lenny prend la parole ensuite. Il raconte deux coups de foudre successifs : la poésie d'abord, Hind ensuite. Mais on s'aperçoit que les deux ne font qu'une : Hind est une chimère, une illumination, une fée baudelairienne. Lenny fondera l'Église de la Treizième Heure après le départ de son amour. La troisième partie est donc celle de Hind. Femme trans d'origine algérienne, elle avoue l'histoire violente de son parcours pour gagner sa liberté sexuelle et individuelle. Elle a aimé Lenny et voulu un enfant de lui, mais quittera Lenny et Farah pour vivre une passion amoureuse vouée à l'échec.
La Treizième Heure est un roman millénariste ultra contemporain, inspiré par les bouleversements d'identité et de genre, et traversé par nos angoisses de fin du monde comme par notre espoir d'un ordre social plus juste.
Dans un petit village abandonné de la «zone grise», coincé entre armée ukrainienne et séparatistes prorusses, vivent deux laissés-pour-compte: Sergueïtch et Pachka. Désormais seuls habitants de ce no man's land, ces ennemis d'enfance sont obligés de coopérer pour ne pas sombrer, et cela malgré des points de vue divergents vis-à-vis du conflit. Aux conditions de vie rudimentaires s'ajoute la monotonie des journées d'hiver, animées, pour Sergueïtch, de rêves visionnaires et de souvenirs. Apiculteur dévoué, il croit au pouvoir bénéfique de ses abeilles qui autrefois attirait des clients venus de loin pour dormir sur ses ruches lors de séances d'«apithe´rapie». Le printemps venu, Sergueïtch décide de leur chercher un endroit plus calme. Ayant chargé ses six ruches sur la remorque de sa vieille Tchetviorka, le voilà qui part a` l'aventure. Mais même au milieu des douces prairies fleuries de l'Ukraine de l'ouest et du silence des montagnes de Crimée, l'oeil de Moscou reste grand ouvert...
Être témoin : être sensible. En quel sens faut-il l'entendre ?
Dans un procès, on ne demande au témoin que d'être précis, puisque ce sont des faits qu'on lui demande de rendre compte. Mais celui qui décide de témoigner contre vents et marées, sans que personne ne lui ait rien demandé, se tient dans une position différente : il porte aussi en lui l'exigence d'un partage de la sensibilité. Il va donc parler des émotions, des faits d'affects : ceux qu'il observe chez autrui, ceux qu'il ressent lui-même. Perd-il pour autant en précision objective ? S'abandonne-t-il à l'illusion d'un pathos trop personnel pour être vrai ? Pas du tout. Il est comme un baromètre, ou comme un sismographe : il lui faut être sensible pour être précis. Il considère implicitement que ses émotions constituent en elles-mêmes des faits d'histoire, voire des gestes politiques.
C'est ce que montre une lecture du Journal de Victor Klemperer tenu clandestinement entre 1933 et 1945 depuis la ville de Dresde où il aura subi, comme Juif, tout l'enchaînement de l'oppression nazie.
Témoignage extraordinaire par sa précision, en particulier dans l'analyse qu'y mena Klemperer - qui était philologue - du fonctionnement totalitaire de langue. Mais aussi par sa sensibilité. Par son ouverture littéraire à la complexité des affects, avec la position éthique - celle du partage - que cette sensibilité supposait.
Entre la langue totalitaire, qui ne se prive jamais d'en appeler aux émotions sans partage, et l'écriture de ce Journal, ce sont donc deux positions que l'on voit ici s'affronter autour des « faits d'affects ». Combat politique lisible dans chaque repli, dans chaque inflexion de ce chef-d'oeuvre d'écriture et de témoignage.
«J'ai été aimantée par cette double mission impossible. Acheter la maison et retrouver les armes cachées. C'était inespéré et je n'ai pas flairé l'engrenage qui allait faire basculer notre existence.Parce que la maison est au coeur de ce qui a provoqué l'accident.»En un récit tendu qui agit comme un véritable compte à rebours, Brigitte Giraud tente de comprendre ce qui a conduit à l'accident de moto qui a coûté la vie à son mari le 22 juin 1999. Vingt ans après, elle fait pour ainsi dire le tour du propriétaire et sonde une dernière fois les questions restées sans réponse. Hasard, destin, coïncidences ? Elle revient sur ces journées qui s'étaient emballées en une suite de dérèglements imprévisibles jusqu'à produire l'inéluctable. À ce point électrisé par la perspective du déménagement, à ce point pressé de commencer les travaux de rénovation, le couple en avait oublié que vivre était dangereux.Brigitte Giraud mène l'enquête et met en scène la vie de Claude, et la leur, miraculeusement ranimées.
On l'appelait le «mage du Kremlin». L'énigmatique Vadim Baranov fut metteur en scène puis producteur d'émissions de télé-réalité avant de devenir l'éminence grise de Poutine, dit le Tsar. Après sa démission du poste de conseiller politique, les légendes sur son compte se multiplient, sans que nul puisse démêler le faux du vrai. Jusqu'à ce que, une nuit, il confie son histoire au narrateur de ce livre...Ce récit nous plonge au coeur du pouvoir russe, où courtisans et oligarques se livrent une guerre de tous les instants. Et où Vadim, devenu le principal spin doctor du régime, transforme un pays entier en un théâtre politique, où il n'est d'autre réalité que l'accomplissement des souhaits du Tsar. Mais Vadim n'est pas un ambitieux comme les autres : entraîné dans les arcanes de plus en plus sombres du système qu'il a contribué à construire, ce poète égaré parmi les loups fera tout pour s'en sortir.De la guerre en Tchétchénie à la crise ukrainienne, en passant par les Jeux olympiques de Sotchi, Le mage du Kremlin est le grand roman de la Russie contemporaine. Dévoilant les dessous de l'ère Poutine, il offre une sublime méditation sur le pouvoir.
Un soir, une jeune chienne, traînant une sale histoire avec sa chaîne brisée, surgit à la porte d'un vieux couple : Sophie, romancière, qui aime la nature et les marches en forêt et son compagnon Grieg, déjà sorti du monde, dormant le jour et lisant la nuit, survivant grâce à la littérature.
D'où vient cette bête blessée ? Qu'a-t-elle vécu ? Est-on à sa poursuite ?
Son irruption va transformer la vieillesse du monde, celle d'un couple, celle d'une femme, en ode à la vie, nous montrant qu'un autre chemin est possible.
Un chien à ma table relie le féminin révolté et la nature saccagée : si notre époque inquiétante semble menacer notre avenir et celui des livres, les poètes des temps de détresse sauvent ce qu'il nous reste d'humanité.
M, romancière entre deux âges, s'est isolée du monde en s'installant avec son second mari au bord d'une côte océanique spectaculaire. Sur sa propriété baignée d'une lumière splendide et entourée de marais, le couple possède une dépendance soigneusement reconvertie en résidence d'artistes. M n'a qu'un rêve : y accueillir un jour L, un peintre à la renommée mondiale, qu'elle admire.Quand il finit par accepter son invitation, M jubile. Cependant, elle déchante vite car L n'arrive pas seul - une ravissante jeune femme est à son bras. Entre-temps, la fille de M et son compagnon ont également débarqué. Les trois couples doivent alors cohabiter dans ce cadre certes enchanteur, mais qui va devenir le théâtre de multiples tensions.D'une plume ciselée, Rachel Cusk crée un huis clos piquant et fascinant que l'on découvre en se plongeant dans le flot de pensées de M, une Mrs Dalloway des temps modernes. Entre désirs étouffés, orgueil artistique et illusions déçues, La dépendance décortique avec beaucoup de malice le large éventail des rapports humains et la légitimité de la vocation artistique.
Lors du décès d'une tante sans descendance, Annette Wieviorka réfléchit aux traces laissées par tous les êtres disparus qui constituent sa famille, une famille juive malmenée par l'Histoire. Il y a le côté Wieviorka et le côté Perelman. Wolf, l'intellectuel yiddish précaire, et Chaskiel, le tailleur taiseux. L'un écrit, l'autre coud. Ils sont arrivés à Paris au début des années 1920, en provenance de Pologne. Leurs femmes, Hawa et Guitele, assument la vie matérielle et celle de leurs enfants.
Dans un récit en forme de tombeaux de papier qui font oeuvre de sépultures, l'historienne adopte un ton personnel, voire intime, et plonge dans les archives, les généalogies, les souvenirs directs ou indirects. Par ces vies et ces destins recueillis, on traverse un siècle cabossé, puis tragique : d'abord la difficile installation de ces immigrés, la pauvreté, les années politiques, l'engagement communiste ou socialiste, le rapport complexe à la religion et à la judéité, puis la guerre, les rafles, la fuite ou la déportation - Paris, Nice, la Suisse, Auschwitz - et enfin, pour certains, le difficile retour à la vie marqué par un autre drame.
Tout l'art consiste ici à placer le lecteur à hauteur d'hommes et de femmes désireux de bonheur, de joie, de liberté, bientôt confrontés à l'impensable, à l'imprévisible, sans certitudes ni connaissances fiables au moment de faire des choix pourtant décisifs. C'est ainsi que des personnages très attachants et un monde disparu retrouvent vie, par la grâce d'une écriture sensible et précise.
Victime d'un AVC, un romancier de 71 ans est en panne, tétanisé, incapable d'écrire une ligne. La commande d'une mini-série sur les Rolling Stones par des producteurs en vue est un miracle inespéré. Il accepte sans hésiter, lui qui méprise les biopics, le milieu du cinéma et les inusables clichés sur les années pop. Voilà l'apprenti scénariste lancé dans un projet sur la première époque des Stones, entre l'arrestation de Keith Richards et Mick Jagger pour usage de stupéfiants, en 1967, et la mort stupéfiante de Brian Jones, en 1969. Intitulée Satanic Majesties, la série montrera comment des voyous, compilateurs de musique afro-américaine, devinrent en l'espace de deux ans les stars androgynes que l'on sait.
Apaisé, le septuagénaire peut poursuivre la passion scandaleuse qu'il partage avec Esther, sa ravissante belle-fille de 23 ans. Mais tous deux le savent, leur amour sera éphémère. Il ne durera que ce que durera chez elle la beauté du diable, tandis que ses forces à lui déclinent tout aussi diaboliquement. D'où la coloration sombre et émouvante de leur histoire ; d'où la souffrance que leur cause la moindre séparation.
L'écrivain de nouveau inspiré se prend au jeu de Satanic majesties. Par la grâce d'Esther, il renoue avec une part d'innocence et fait ressurgir Marianne Faithfull, Anita Pallenberg ou Brian Jones de l'abîme du temps. Et si l'innocence de l'homme s'enfuit avec les années, l'exceptionnel brio de ce roman prouve si besoin était le souffle éblouissant de Simon Liberati. Parfois burlesque, souvent bouleversante, addictive, effrénée, la plus belle aventure d'un écrivain saisissant au vol les dernières bribes que la vie lui accorde.
S'il y a un peintre français qui, par son seul génie, a bouleversé le monde entier, c'est bien Édouard Manet.
Depuis l'enfance, j'aime ses oeuvres, ses noirs, ses ivoires, ses énigmes, ses amoureuses. La violence extrême qu'il a suscitée est inimaginable aujourd'hui. Je vous propose une balade personnelle et intime dans sa vie.
Ado, j'avais trois idoles : lui, Jacques Monory, le peintre des meurtres bleus, et Led Zeppelin. Vous allez les retrouver ainsi que des conversations sur le bel Édouard avec Koons, Barceló, Longo, Condo, Tabouret, Lavier, Yan Pei-Ming, Traquandi, Mivekannin et ceux qui font l'art vivant.
Je ne suis pas historien, ce qui me permet de convoquer des surprises dans le secret des ateliers : Picasso, Warhol, De Niro père et fils, Hockney, Visconti, César, Niki de Saint Phalle, La Casa de Papel, Laurence des Cars, Bourdieu, la maladie brutale, le journalisme, mes parents, modestes marchands de tableaux et ceux du monde entier...
Notre Hitchcock de la peinture a inventé l'art moderne pour le reste de la planète. Il adorait la vie et il a fini, presque paralysé, par peindre des fleurs déchirantes. Étant passé tout proche du ravin rejoindre mon père, je me suis autorisé ce roman vrai avec des reproductions magnifiques.
Édouard Manet a vécu la mort aux trousses en revenant tout jeune du Brésil, à cause de la syphilis qui l'a tué à 51 ans. Comme Baudelaire à 46 ans. Il lui ferma les yeux.
Il repose au cimetière de Passy, à Paris. Il incarne la preuve que l'art contemporain n'existe pas car le Déjeuner sur l'herbe est vivant pour l'éternité.
Partout.
« Comment l'appeler ?
Je dis Anne, mais cette fausse intimité me met mal à l'aise. Je ne peux pas dire Anne, quelque chose m'en empêche, qui, au cours de la nuit, se matérialisera par l'impossibilité de rester dans sa chambre. Alors je dis Anne Frank, comme on évoque l'ancienne élève brillante d'un collège fantomatique. Deux syllabes.
Anne Frank, une histoire que « tout le monde connaît » tellement qu'il n'en sait pas grand-chose. Car « tout le monde connaît » ne dit pas que « tout le monde sait », mais qu'on est pressé de passer à autre chose, de le ranger au Musée, ce petit fantôme.
La Maison Anne Frank est un appartement vide. C'est l'absence de ses habitants devant laquelle les visiteurs défilent. C'est le vide qui transforme cet appartement, l'Annexe, en musée. Mais le vide n'existe pas. Il est peuplé de reflets qui témoignent de l'abîme, celui de la disparition d'Anne Frank.
Toute la nuit, j'irai d'une pièce à l'autre, comme si une urgence se tenait tapie encore, à retrouver. »
"" Depuis le début, j'ai été prise dans une tension, un déchirement même, entre la langue littéraire, celle que j'ai étudiée, aimée, et la langue d'origine, la langue de la maison de mes parents, la langue des dominés, celle dont j'ai eu honte ensuite mais qui restera toujours en moi-même. Tout au fond, la question est : comment, en écrivant, ne pas trahir le monde dont je suis issue ? » Ainsi Annie Ernaux évoque-t-elle son travail d'écriture dans cette conférence célèbre qu'elle a prononcée à Yvetot, en 2012, lors de sa rencontre officielle avec les habitants de la ville. Cette nouvelle édition 2022 de Retour à Yvetot, texte fondateur et éclairant sur la vie et l'Å«uvre de la célèbre écrivaine, est augmentée de plusieurs inédits confiés par l'autrice : photos personnelles, correspondance avec son amie de collège Marie-Claude jusqu'à ses 22 ans, extrait manuscrit de son journal intime de l'époque, carnet scolaire.
En quelques pages, à la première personne, Annie Ernaux raconte une relation vécue avec un homme de trente ans de moins qu'elle. Une expérience qui la fit redevenir, l'espace de plusieurs mois, la «fille scandaleuse» de sa jeunesse. Un voyage dans le temps qui lui permit de franchir une étape décisive dans son écriture.Ce texte est une clé pour lire l'oeuvre d'Annie Ernaux - son rapport au temps et à l'écriture.
Tous les livres que j'ai écrits ont été précédés d'une phase, souvent très longue, de réflexions et d'interrogations, d'incertitudes et de directions abandonnées.À partir de 1982, j'ai pris l'habitude de noter ce travail d'exploration sur des feuilles, avec des dates, et j'ai continué de le faire jusqu'à présent. C'est un journal de peine, de perpétuelle irrésolution entre des projets, entre des désirs. Une sorte d'atelier sans lumière et sans issue, dans lequel je tourne en rond à la recherche des outils, et des seuls, qui conviennent au livre que j'entrevois, au loin, dans la clarté.A. E.Parallèlement à ses romans, Annie Ernaux tient un journal d'avant-écriture ; une sorte de livre de fouilles, rédigé année après année, qui offre une incursion rare de «l'autre côté» de l'oeuvre.Plongé au coeur même de l'acte d'écrire, le lecteur devient témoin du long dialogue de l'autrice avec elle-même : la pensée taillée au couteau, des idées en vrac, des infinitifs en mouvement ; des associations de mots, de morceaux de temps, et de confidences.Pour la réédition de L'atelier noir, Annie Ernaux a souhaité augmenter l'ouvrage de pages inédites de son journal de Mémoire de fille.